Au numéro 15 des Cahiers Barruel était joint un
tract d'un organisme lié aux Cahiers, l'Association Sainte-Véronique.
Sis également à Lyon, ce groupement avait pour but « de reproduire et
diffuser des livres très rares et essentiels pour fortifier notre foi et mieux
connaître l'ennemi ». Un des livres proposés sur ce tract (encouragé
par les Cahiers Barruel) était celui de Mgr Gaume intitulé Le Manuel
des confesseurs. La raison de cette réédition était donnée : « Le
meilleur et le plus pratique [des livres du confesseur] à une époque où
trouver un bon confesseur est impossible. »
Or, tout séminariste commençant sa théologie morale
apprend que les livres du confesseur sont... pour le confesseur et pas pour le
confessé. En d'autres termes, on lui enseigne qu'il n'a pas le droit de se
servir pour la direction de sa propre conscience de certaines règles qui
sont destinées exclusivement à son rôle de juge sacré. C'est le cas
notamment pour ce que l'on nomme « les systèmes moraux ».
Mettre entre les mains de laïcs qui n'ont pas reçu de
formation théologique des ouvrages techniques destinés au prêtre, et encore
seulement en tant qu'il confesse, c'est ouvrir la porte aux erreurs les
plus graves en matière morale, au laxisme le plus dangereux et, finalement, au
péché. Cela équivaut à mettre entre les mains des malades les livres
techniques du médecin : le malade croira pouvoir se guérir lui-même,
usera de médicaments dangereux et finalement mourra.
Il est difficile de concevoir quelque chose de plus aberrant
que de répandre dans le grand public un tel ouvrage. Pour la petite histoire,
rappelons que la diffusion dans le grand public des « livres du confesseur » a
un précédent : il s'agit de l'escroc mythomane et blasphémateur Léo
Taxil, qui publia à la fin du siècle dernier dans la Bibliothèque
anticléricale un ouvrage intitulé Livres secrets des confesseurs dévoilés
aux pères de famille. Le commentaire de Drumont sur cette édition est
plein de bon sens chrétien, et nous conseillons à nos lecteurs d'aller le
relire (Edouard Drumont, Le testament d'un antisémite, Dentu, 1891, pp.
426-430). Le père Henri Le Floch qui fut, durant de longues années, le
directeur du Séminaire français de Rome où l'avait placé le pape saint Pie
X, écrit à ce propos dans sa belle vie de Poullart des Places : « Claude
Poullart des Places avait soin de prémunir ceux de ses disciples qui
étudiaient la théologie morale contre les dangers de cette science qui, mal
comprise et mal appliquée, flétrirait dans les âmes la fleur de l'honnêteté
native par un singulier amalgame de principes réflexes, de distinctions et de
sous-distinctions dépourvues de fondement » (Claude-François Poullart des
Places, fondateur du séminaire et de la congrégation du Saint-Esprit, Lethielleux,
1906, p. 370).
De la même façon, les Frères des écoles chrétiennes,
éminents éducateurs s'il en fut, écrivent dans leur traité de morale :
« Autre est l'étude de la morale, telle que doit la faire le prêtre, chargé
par son ministère de diriger les consciences ; autre est l'étude que
doivent en faire les simples fidèles. D suffit généralement à ceux-ci de
bien connaître les règles communes de la vie chrétienne, et les règles
particulières propres à la condition de chacun. Pour l'ordinaire même, il y a
plus d'inconvénients que d'avantages, pour les simples fidèles, à vouloir
approfondir l'étude de la théologie morale. Il leur convient mieux d'étudier
à cette fin les livres écrits pour leur usage et, dans les cas difficiles, de
s'en rapporter simplement aux règles pratiques que leur donne un directeur de
conscience sage et prudent » (Exposition de la Doctrine chrétienne, réédition
Clovis 1990, « La Morale », p. 36, note a).
L'Association Sainte-Véronique qui avait entrepris une telle
diffusion, les Cahiers Barruel qui encourageaient et soutenaient cette
diffusion, ont assumé en le faisant une très grave responsabilité. Sans
compter l'affirmation : « à une époque où trouver un bon confesseur est
impossible », qui ne manifeste pas un respect exagéré envers les prêtres
restés fidèles.